Home

Benjamine Weill

Philosophical perspective about Hip Hop by Benjamine Weill (Part 2)

The International Underground Rap & Hip Hop connexion has the immense pleasure to greet into its writers team the French Philosopher Benjamine Weill.

With a solid background into Contemporary philosophy at the University of the Sorbonne (Paris) she grew up with Hip Hop and is currently writing a book about it, that will be released within the year!

Benjamine is already writing also some articles about the movement and the culture with always some kind of a philosophical approach and a larger vision… You will find below the first part of “Philosophical perspective about Hip Hop by Benjamine Weill”.

We will be publishing this part of her work for the movement as a series offered to our readers little by little and also some of her other articles within the year.

We will also keep you up to date with her upcoming book and we really do hope that you will be as interested as we are by her peculiar approach of both, Hip Hop and Philosophy.

Article written by Benjamine Weill and translated from French to English by Isa Nahila S-Bigini

First below you will find her text in French and then its translation into English.

Lire l’introduction (Part 1) – Read the introduction [LINK]

Part 2

 

Ma démarche paraîtra insolite car, a priori, la philosophie et le Hip-Hop n’ont rien à voir, comme le soutiennent certains “penseurs”, qualifiés de philosophes par les médias. Ils voient dans ce mouvement, une “américanisation” de la société, un “abrutissement des masses”, une “perversion des valeurs républicaines”… Cette vision du Hip-Hop et du rap français – ce sont essentiellement les rappeurs français qui sont visés – relève d’une appréhension trompeuse du mouvement, de ses enjeux et de ses textes. Il s’agit d’une lecture superficielle, qui s’arrête à un premier niveau, le plus immédiat, sans s’interroger sur le sens sous-jacent aux mots, sur le sens de la structure même des textes.

Ils n’y voient aucune esthétique, à l’encontre d’Hegel lui-même (une référence en matière d’esthétique pour les intellectuels !) quand il écrit : ” pareille musique ne nous touche que dans la mesure où, jaillie de la vitalité propre du rossignol, sans aucune intention, elle ressemble à l’expression de sentiments humains”1.

Il nous alerte sur le fait que l’art n’a pas vocation à rendre compte d’une supposée réalité vraie, à être ressemblant, mais qu’il humanise la nature, non par la raison, non par objectivation mais par subjectivation. Autrement dit, il ouvre la voie sur la transformation du monde en quelque chose de sensiblement accessible. L’art, selon Hegel, ce n’est pas une pure et simple imitation « objective » de la nature, mais bien la manière dont l’artiste la perçoit pour lui-même et ainsi renvoie chacun des auditeurs à leur propre existence, leur propre perception du monde…

Il poursuit en nous invitant à penser qu’ “… il convient mieux à l’homme de trouver la joie dans ce qu’il tire de son propre fond”2, à savoir ses émotions, ses affects et tout ce qui fait de lui son unicité.

Ainsi, la question de savoir si le rap relève du beau n’appartient pas à une élite intellectuelle puisqu’en matière d’art, ” on s’en remet au goût subjectif, qui ne peut édicter aucune règle et ne peut être discuté”1.

Ce qui est beau, c’est ce qui nous parle, ce qui nous touche, ce qui résonne en nous, fait émerger une forme d’humanité insoupçonnée et non ce qui est déduit d’un raisonnement. Le beau pourrait se résumer, selon la conception hégélienne, en ce qui nous meut. On pourrait le rapprocher du désir, de ce qui nous met en mouvement pour aller vers l’autre. Toutefois, il ne peut s’y réduire, il va au-delà du désir, qui se perd en s’assouvissant. Ce que suscite l’art en nous est d’un autre ordre. Il ne vise pas la satisfaction individuelle, il dépasse l’individu en réunissant des individus autour d’un même objet. En ceci, il est à la fois de l’ordre du désir (qui met en mouvement et en attrait pour l’autre et le monde), et par delà le désir, puisque ce dernier s’annule par sa satisfaction, alors que l’art augmente par la communion qu’il inspire autour de l’objet de désir.

Il y a donc quelque chose du désir dans l’art, puisqu’il met en mouvement et qu’il génère du plaisir (au sens fort du terme), mais il ne s’y réduit pas. Ce quelque chose du désir que recèle l’art, je fais l’hypothèse qu’il s’inscrit, se comprend du côté du féminin, d’un désir qui ne serait pas anéanti par sa satisfaction, mais bien augmenté, amplifié par sa satisfaction.

Plus j’écoute du rap, plus j’ai envie d’en écouter. De même que la philosophie peut me faire exactement le même effet. Plus j’avance dans un raisonnement, plus j’ai envie de le continuer. Plus je m’approche de quelque chose qui me semble être à la fois nouveau et évident, plus la joie me prend, au sens de la jouissance spinoziste1. Cette jouissance à la fois intellectuelle et physique, je l’ai ressentie plusieurs fois tant avec l’un qu’avec l’autre. Nous le connaissons tous sans forcément le relier à un événement particulier. Chacun d’entre nous a expérimenté au moins une fois, ce plaisir intense, presque physique d’ailleurs, où l’on a le sentiment d’avoir saisi quelque chose de nouveau, d’original. C’est le fameux Eurêka! La décharge de plaisir qui s’opère alors est tout aussi réelle que celle qui amène au plaisir physique. C’est de ce type de décharge qu’il s’agit ici justement.

En ceci, l’art vise quelque chose d’universel, sans toutefois, l’avoir déjà prévu. Cet universel, à savoir ce qui vaut pour tous indifféremment de nos particularités individuelles, c’est bien le Beau. Ce Beau a connu plusieurs définitions selon les âges et les époques. Pour les grecs anciens (et notamment pour Platon qui développe sa conception dans le Banquet), le Beau relevait de l’harmonie procurée par la reproduction fidèle de la nature.

L’apothéose du Beau, son archétype, étant la nature. C’était donc par comparaison objective qu’on évaluait la force esthétique. Cette conception a guidé longtemps l’art picturale notamment, considéré comme art premier, suprême. La musique, en soi, ne peut pas être reproduction fidèle de la nature. Elle fait déjà appel à l’imagination puisque l’harmonie se situe autant dans les notes elles-mêmes que dans leur enchaînement, à savoir ce qui se joue entre les notes. Par ailleurs, la musique éveille des sensations et des images en nous, elle n’est pas purement intellectuelle et rationnelle. Ce qui la rend belle, au sens esthétique, ce n’est pas tant la manière dont elle représente quelque chose de déjà connu à son auditeur, mais bien la manière dont elle l’éveille à lui-même, aux autres, la manière dont elle réunit les subjectivités. C’est pourquoi, elle vise quelque chose d’universel (le Beau) autour duquel, les individus épars peuvent se retrouver, sans pour autant le chercher. Elle se donne à entendre et c’est à partir de l’effet produit qu’on peut la qualifier de belle ou non (pour soi d’abord : est-ce que ça résonne? est-ce que ça me parle?), mais aussi pour l’humanité qu’elle porte en elle.

La musique, en tant que telle, met en perspectives l’universel et le particulier. A travers le plaisir individuel que me procure un morceau, je rejoins la communauté de ceux qui l’écoutent, l’ont écoutés, l’écouteront. Par cette joie qu’elle génère, la musique me relie à l’humanité toute entière. Elle me réveille à mon humanité sensible, auditive et non seulement intellectuelle.

Cette visée de l’art, et a fortiori de la musique si elle n’est pas purement intellectuelle, c’est qu’elle s’apparente à une pulsion, un élan, ce que Spinoza appelle le “conatus”. Celui-ci loin de viser sa satisfaction, permet sa propagation, son augmentation. Le terme latin signifie littéralement l’« effort » ; Spinoza nomme conatus la puissance propre et singulière de tout « étant » à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter sa puissance d’être. Le conatus est un terme dont l’extension à tout étant-existant singulier est universelle (puisque tout être vivant vise à la persévérance de son être).

English version

My approach will seem peculiar because a priori, philosophy and Hip Hop have nothing to do together as certain “thinkers” qualified of philosophers by the media, sustain it. They see into this movement an “americanization” of the society, a “mindlessness” of the masses, a “perversion of the republican values”… This vision of French Hip Hop and rap (because French rappers are essentially the ones that are concerned by this thinking), comes from a misleading perception of the movement, of its issues and of its texts. It is a superficial reading that stops to a first level, the most immediate, without wondering about the meaning underlying within the words. The meaning itself of the structure of the texts.

They see no esthetics running counter to Hegel himself (a reference within the esthetics matters for intellectuals!), when he writes: “pareille musique ne nous touche que dans la mesure où, jaillie de la vitalité propre du rossignol, sans aucune intention, elle ressemble à l’expression de sentiments humains” (additional explanation not to translate this thought wrong: he is saying that the same music that touches us as far as possible as the vitality is coming from the nightingale, without no intention, and it looks as the expression of human feelings).

He warns us about the fact that art has no vocation to account for a supposed ‘true’ reality (to similar humans), but that it humanizes the nature, not through the purpose, not through the objectification but through the subjectification. In another words, it opens the path to the transformation of the world into some accessible sensitivity. Art according to Hegel is not a pure and simple “objective” imitation of the Nature but the way the artist perceives for himself and then sends back to the audience their own existence, their own perception of the world.

He continues by inviting us to think that it fits more to the man to find his joy it what comes from his own substance, his emotions, his affects and all that makes his unicity.

So, the question about knowing whether rap belongs to the “beautiful” does not belong to the elite of the intellectuals because when it comes to art we rely on subjective tastes that cannot enact any rule and that cannot be discussed.

What is beautiful is what is talking to us, what is touching us, what is resonating within ourselves, making emerging a form of unexpected humanity and not what is deducted from a reasoning. The beautiful could be summed up according to the Hegel conception, by what is moving us. We could link it to desire, to what puts us into movement to go towards to others. However it cannot be reduced within it, it goes further than desire that is losing itself into the satiating. What generates Art within us is from another order. It does not aim at the individual satisfaction, it goes further than the individual by reuniting them around the same object. For that it is coming at the same time from the desire (that puts into movement and into attraction for the others and the world), and further than the desire, because this last one cancels itself through the satisfaction, when Art increases through the communion that it inspires us around the object of the desire.

There is something from desire into art as it puts into movement and generates pleasure (in the strong meaning of the term). But it does not reduce itself into it. This something from the desire that comes from Art, I make the hypothesis that it logs itself, it undestands itself from the feminine side, from a desire that would not be annihilated by the satisfaction, but rosed, amplified by its satisfaction.

The more I listen to rap the more I want to continue. The more I approach from some that seems to me at the same time new and evident, the more the joy takes me in the sense of the Spinoza’s enjoyment. This pleasure that is at the same time intellectual and physical, I felt it many times with one and the other. We all know it without always linking it to a particular event. Each of us experimented at least once this intensive pleasure, almost physical even, when you have this feeling that you seized something new, original. This famous “Eurêka”! The discharge of the pleasure that occurs then is all as real that the one that leads to physical pleasure. This is the type of “discharge” that applies here.

Into this Art aims at something that is universal without having already predicted it. This universal, that applies to all no matter what the individual particularities are, is the Beautiful. This Beautiful encountered many definitions according to the ages and the periods. For the ancient Greeks (particularly for Platon who developped his conception within the Banquet), the Beautiful came from the harmony brought by the true reproduction of the Nature.

The apotheoses of the Beautiful, its archetype being the Nature. So it was by an objective comparison that we were evaluating the esthetics. This conception long guided the apotheoses of the pictorial Art for instance and is considered as “primary Art”, supreme. Music in itself cannot reproduce the Nature with fair views. It already is appealing to the imagination as the harmony is lying in at the same time within the level of the musical notes itself than into their sequences (what is between the notes).

Furthermore, music wakes up sensations and images into us, it is not only intellectual or rational. What makes her beautiful from an esthetic point of you is not so much the manner it represents something already known by its auditors but really the way it wakes the auditor up to himself, to the others, the way it unites subjectivities. This is why it aims at something that is universal “the Beautiful” around which the individuals can meet up with each others without searching for it. It gives itself to be heard and it is from the effect that is produced that we can qualify it from Beautiful or not (for ourselves at first: is this resonating? Is it talking to me?), but also for the Humanity that is held into itself.

Music, as itself, puts into perspectives the Universal and the particular. Throughout the individual pleasure that a track brings up I join the community of those who listen to it, those who have listened to it and those who will listen to it. Through the joy it generates, Music links me to the entire Humanity. It wakes me up to my sensitive, auditory and intellectual humanity.

This aiming of the Art is (and a fortiori of the Music if it is not purelly intellectual), is that it relates to a pulsion, an impetus, what Spinoza calls the “conatus”. This one far from aiming at its satisfaction, enables its propagation and its increase. The Latin word means literally “the effort”. Spinoza calls “conatus” the equity and singular extension of all “being” to persevere into the effort of keeping and even rising its power of being. The “conatus” is a word which extension to all that exists singularly is universal (as all human beings aims to the perseverance of very being).